La traversée du désert

Mercredi 13 mars 2013

Je me lève une première fois à 6h puisque Robin nous avait conseillés de sortir pour admirer le lever du soleil. Cependant, le disque d'or ne daigne pas encore émerger de derrière les dunes. Je retourne sous la tente après une visite de courtoisie au scorpion. Dans son seau, il a l'air tout aussi énervé qu'hier soir.

Une heure plus tard, nouvelle tentative. Cette fois, Taher est aussi debout et souhaite m'accompagner au sommet de la dune que nous avons gravie en arrivant hier soir. Lui qui n'est pas sportif peine bien plus, mais son effort est récompensé : positionnés exactement sur la crête, le versant que nous venons de gravir est éclairé par la lumière matinale tandis que l'autre face demeure dans l'ombre. Un contraste qui caractérise tout le cordon dunaire dans sa fuite vers l'horizon. Nous nous asseyons pour contempler ce paysage si inaccoutumé, si hostile et pourtant si majestueux. Le silence vaut plus que tous les mots que nous pourrions échanger. Aussi restons-nous muet d'un commun accord tacite.

Un peu plus tard, Taher créé une ligne pointillée pour permettre le changement de versant en toute légalité. Nous jouons également avec nos ombres qui, d'éternelles suiveuses, se font complices. Le temps défile vite et Robin s'est levé. Nous redescendons en courant comme deux chiens fous.

Le corps alimenté et la tente démontée, nous pouvons gagner à pied l'entrée de la vallée, ce petit col planté de deux arbres. Ces repères apparaissent encore au loin comme un trait de la taille d'un grain de riz ou moins. Le groupe démarre, je reste encore un peu pour aider l'équipe au rangement et au chargement des voitures. Les tapis de sol (pour la nuit) arrimés sur le toit, je pars à mon tour vers le repère visuel

Après un quart d'heure de marche, un vieil omanais en tout-terrain s'arrête à ma hauteur pour proposer de l'eau. Comme j'en ai, je le remercie dans sa langue, surpris par sa délicate attention. Nous repartons chacun dans notre direction comme si nos trajectoires ne s'étaient jamais croisées. Je progresse d'un bon pas malgré la chaleur ce qui me permet de rattraper l'arrière-garde du groupe. Autour de nous des dromadaires apparaissent. Je pars à leur rencontre.

Les arbres sont à présent à portée. Nous marchons seuls depuis une heure peut-être. Un pick-up nous croise, transportant à l'arrière un dromadaire de course avec une couverture sur le dos. Au loin, un petit nuage de poussière annonce l'arrivée imminente de notre convoi. 3 minutes plus tard, il est là et nous récupère.

Sur notre droite, la dune reste élevée. Nos chauffeurs réempruntent le chemin de la veille pour trouver un accès vers son sommet qui ouvre sur un vaste plateau. Etant lourdement chargés, ils n'ont pas l'embarras du choix. Ils s'octroient cependant un moment de détente en montant pied au plancher quelques dizaines de mètres, puis en décrivant un arc de cercle. Robin maîtrise. Taher, avec qui je suis monté aujourd'hui, est un novice mais il apprend vite. Un instant le véhicule s'immobilise, un peu penché. L'autre partie du groupe nous croit prêts à basculer jusqu'à ce que Taher dévale à nouveau la pente. Cris de satisfaction de sa part : il est euphorique.

Nous reprenons notre progression. Désormais, le relief est moindre autour de nous et le désert s'étend à perte de vue. Teintes dorées ou ocres selon la réverbération et la nature du sol. Nous sommes comme les grains de sable de cet environnement : une infime partie d'un tout immense, sans frontière perceptible. Symétrie parfaite avec un ciel tout aussi infini car sans le moindre nuage. De notre passage, de celui de l'homme quand il est respectueux, il ne subsiste aucune trace comme ces marques de vie animale que le vent s'acharne à effacer ou ces particules de sable qu'il entraîne dans des odyssées inimaginables. Ephémère les traces, éphémère la vie en ce lieu, éphémère notre passage. Le désert n'a pas de mémoire à court terme alors qu'il conserve prodigieusement des vestiges de civilisations millénaires dans ses entrailles. Partout l'homme s'attaque à la nature : par exemple, autour de Mascate, il aplanit les montagnes. Mais en cet endroit, c'est la nature qui tolère sa présence sans faciliter les choses. Elle assaille sans relâche les routes qui la bordent et cherche sans cesse à s'étendre grâce au concours du vent. Mille pièges sont tendus à qui est inattentif ou désinvolte : perte de repère, soif, chaleur et insolation, scorpions, serpents ou araignées ... Rares sont les abris, repères du vivant. Le désert se présente à nous sans fard.

Nous marquons une première pause pour libérer notre otage le scorpion. Robin sort une bouteille en plastique dans laquelle il l'a emprisonné. Il s'éloigne d'une centaine de mètres et contraint notre "ami" à sortir. Courroucé, celui-ci se décide de poursuivre notre guide sur quelques pas avant de ravaler sa fierté et d'aller se tapir à l'ombre dans un fourré. Il est vraiment de belle dimension ! Autour de nous, les dunes sont décorées d'innombrables sillons naturels, tracés là-encore par le vent. Vue classique et pourtant je m'émerveille.

Tandis que nous repartons, j'écoute Taher me décrire ses déboires amoureux de manière plus que romanesque. Tout est présent pour une belle intrigue. Emporté par son récit, il devient moins attentif et s'ensable au sommet d'une dune. Un petit appel à la C.B. pour prévenir Robin. Leur véhicule fait demi-tour et notre guide démontre l'étendue de son expérience : pas même besoin  de sortir les plaques !

Nous traversons un océan de sable qui devient moutonneux. Au sol, une végétation rase subsiste, témoin que l'eau n'est pas loin, abondante. Les îlots  de vie se multiplient sous la forme d'ouzbahs, les fermes à dromadaires, plus rarement d'un habitat ou d'un puits.

Nouvel arrêt pour aller au contact de deux camélidés. D'abord méfiants, ils se laissent ensuite caresser sans rechigner. Au moment de la séparation, ils nous accompagnent même quelques pas. Comme quoi, les essayer c'est les adopter.

Notre dernière halte matinale concerne une famille de bédouins pêcheurs, commerçants du désert proposant de l'artisanat et de l'essence. La station est improbable : une poignée de jerrycans sous une bâche en toile et un écriteau en anglais. Sous un autre abri, quatre enfants tyrannisent un chaton famélique né il y a peu. Robin parvient à les distraire au moyen d'une poignée de biscuits. Et on parle de vie de chien !

Pique-nique à l'ombre d'une petite mosquée. Comme il n'y en a pas assez pour tous, je cède ma place. Mon cheich me permettra de tenir en plein soleil. Après une heure de pause, nous repartons avec un bidon d'eau potable en moins, le récipient fuyant. Pour la seule et unique fois, Robin explose de colère contre Taher. L'orage soudain passe et laisse la place au soleil implacable.

Avant de sortir du désert, nous nous arrêtons sur une proéminence. Le sable a changé de couleur et est plus clair, presque blanc par endroit. L'immensité est à présent bornée : par la route d'abord, puis par l'océan.  Nous roulons sur le ruban asphalté à faible allure puisque nos pneus sont sous-gonflés depuis hier. Nous allons à la rencontre d'une échoppe pour rajouter de la pression. Le littoral est ponctué d'abris en toile. Pas de ville ni de village. Les bédouins pêcheurs vivent 6 mois des ressources de la mer puis réinvestissent l'intérieur des terres.

Nous atteignons notre "stand" de bengalis qui regonflent nos pneus rapidement. Au loin, une école abritée derrière une enceinte blanche. Robin espère désespérément trouver une jeune fille photographiée lors d'un précédent voyage pour lui remettre son portrait. En vain.

A nouveau, nous repartons en sens inverse vers le campement du jour à Bandar Assaqba. En chemin, nous passons quelques instants avec des pêcheurs qui font la navette entre le littoral et le navire principal au large pour décharger leurs prises. A distance prudente, des rangs de mouettes attendent le signal du début du festin.

A peine plus loin, nous installons nos tentes pour la nuit. Cette tâche achevée, les volontaires attaquent le rituel d'épluchage de légumes. Dans quelques jours, notre brigade de petites mains sera prête à ouvrir un restaurant !

Apéro puis diner qui se termine par un peu de tension passagère au sein du groupe au sujet des tâches accomplies. L'abcès crevé, aucun ressentiment ne subsiste : chacun continue de se livrer aux tâches qu'il souhaite. Sur ce, la quasi-totalité du groupe part se coucher à 21h15. Beaucoup trop tôt pour moi et pour le couple qui me propose une balade à la frontale jusqu'au littoral. J'accepte avec enthousiasme. Dans le faisceau lumineux apparaissent furtivement des crabes blancs, qui, aussitôt détectés, s'empressent de se cacher. L'explosion des vagues à l'approche de la plage créée un "rugissement" assourdissant à cette distance.

De retour au campement, je me retrouve seul à veiller parmi le groupe. Aussi demandai-je à Robin s'il peut toujours me dispenser un cours privé d'astronomie car le ciel est clair et pur à proximité immédiate du désert et de l'océan. A l'aide d'un laser, il pointe les étoiles l'une après l'autre et se lance dans une narration particulièrement captivante car non seulement il connaît les constellations, mais également les mythes et légendes associés. Orion, les Pléiades, Castor et Pollux, l'étoile polaire, Jupiter ... je lis un livre ouvert et passionnant. Sur des remerciements à ce guide très investi, je rejoins la tente m'abandonner au sommeil, bercé par le ressac moins sonore à une centaine de mètres de la plage.

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