RDV incertain avec les tortues

Jeudi 14 mars 2013

Ce matin, nous ne sommes pas pressés car le seul restaurant du coin est à seulement 1h30 de route. L'heure du lever est donc tardive. Réveillé, je ne peux attendre aussi longtemps et pars me promener sur le littoral. Il faut le reconnaître : celui-ci est en partie souillé par des ordures laissées là lors de pique-niques par des omanais peu soucieux de l'environnement. Le long de la plage, la situation est différente : peu de traces en dehors des roues d'un tout-terrain, des pattes d'un chien et de celles des crabes. Les hérons et les mouettes sont des compagnons de circonstance qui s'envolent à mon approche.

A l'issue du petit-déjeuner, nous disposons de beaucoup de temps pour nous baigner dans l'océan Indien. Une première pour moi après l'Atlantique et le Pacifique. Pendant une heure, je saute de hautes vagues, plonge, nage. L'eau n'est pas spécialement chaude à cette latitude (à peine une vingtaine de degrés) mais mon T-shirt technique me permet de mieux résister sur la durée. Pas grand intérêt en revanche à explorer le fond car il est totalement sablonneux. Seuls quelques poissons noirs évoluent autour de nous.

De retour sur la terre ferme, je consacre mon temps à la rédaction des cartes postales puis au pliage de notre tente. Je déguste également un petit jus de goyave dont vous me direz des nouvelles pour faire passer le goût d'eau de mer.

Nous embarquons et quittons les lieux. Nous nous accorderons une seule pause en chemin pour une seconde rencontre avec les bédouins pêcheurs. Comme hier, ils déploient leurs filets à terre et les secouent pour les décharger de leurs poissons. Pour chaque tonne rapportée, ils perçoivent 18 rials (environ 36€), une aumône ... Ils remontent surtout des sardines à cette saison. La tâche terminée, ils replient le filet à l'intérieur de la barque en respectant l'ordre et l'alignement de ses lests. Puis, leur embarcation est remise à l'eau par un véhicule surpuissant qui la pousse. Ne reste qu'à franchir les vagues et à regagner le large où un boutre les attend.

Notre route passe devant une auberge de jeunesse au milieu de nulle part. En tant que voyageur solitaire occasionnel, je me demande comment feraient des individuels sans voiture pour venir ici. Bus de ligne ?

Après déjeuner, nous nous dirigeons vers la pointe de Ras-Al-Hadd, une mini falaise d'Etretat qui ouvre sur une côte découpée, une mer turquoise et une plage s'étendant à perte de vue.

Quelques kilomètres plus loin, nous atteignons le Turtle Beach Camp où nous allons passer la nuit. Il s'agit d'un établissement de standing offrant un hébergement en paillotes et avec accès à une plage privée. Du fait de la chaleur, je retourne me baigner une seconde fois, motivé par une annonce de Robin qui soulignait la potentielle présence de tortues en dehors du périmètre délimité. Je nage donc dans cette direction, passe sous la barrière de  bouées et rejoins le littoral où j'ai enfin pied. De petites criques isolées sont désertées par les crabes à mon approche. Un peu plus loin, je ne peux plus poser le pied car des coraux tapissent le fond habité par une multitude de poissons multicolores : jaune fluo, orange, noir, bleu électrique ... Un feu d'artifice sous-marin qui opère une danse envoutante. Je passe ainsi au moins autant de temps la tête sous l'eau qu'à l'air libre. D'autres hôtes moins attendrissants occupent le fond en nombre : des oursins aux épines menaçantes. Enfin, pied de nez à mes précédents voyages et témoin entre mes différents blogs : des concombres de mer ! J'ai fui l'Europe et l'Amérique pour leur échapper et voici qu'ils me narguent au Moyen-Orient tous les midis dans l'assiette et même jusque durant les "plongées" ... Curieux, les poissons vont et viennent autour de moi. Je pourrais presque les toucher.

De retour à la plage privée, je motive un autre groupe de français et les y conduit non sans être passé auparavant par un boutre amarré gardé par de petites grappes de méduses. Au bout d'une heure à une heure trente dans l'eau, je sors pour aller prendre la douche.

Tout le monde se retrouve autour de la table pour l'apéro. Les moustiques aussi. Après avoir fini de donner notre sang, nous faisons la queue pour le buffet. A notre surprise, notre grand docteur qui culmine aux environs de 2 mètres trouve un "concurrent" à sa taille qui le dépasse d'un centimètre. Alors ça fait quoi de ne plus dominer la situation ? Langue tirée Bienvenue au pays des Rases-Moquette !

Vers 20h30, nous quittons le campement pour Ras Al-Jinz, un centre d'observation des tortues au coeur d'une zone protégée couvrant 45 kilomètres de littoral. Deux fois par jour, à 4h et à 21h, 100 touristes peuvent accéder pendant deux heures à la plage où elles peuvent potentiellement pondre (en milieu de journée quand la probabilité est nulle, la plage est ouverte à tous). "Potentiellement" car bien évidemment il n'est pas garanti de voir les animaux. A notre arrivée au centre, rien n'est moins sûr car les rangers n'auraient pas encore trouvé de spécimen. Certains se découragent vite. Personnellement, je préfère garder espoir même si au final ce pourrait être une déception comme les rennes en Mongolie.

Les minutes passent. A 21h30, nous ferons demi-tour pour retourner au camp. Soudain, la nouvelle tombe : 1 tortue verte a été repérée. Dans une longue procession à la lumière des frontales ou de la lune, des groupes de 15 à 20 touristes se dirigent vers l'océan à dix minutes de marche. Richard, notre guide local, nous explique en anglais la reproduction et la ponte de A à Z. Robin nous avait livré la version française un peu plus tôt. Je m'imagine un petit modèle comme ceux échoués sur la plage hier ou celles de nos contrées : au plus la longueur de l'avant-bras. Aussi quand je vois un spécimen d'un bon mètre, suis-je stupéfait.

Les tortues vivent en mer et ne remontent à la surface pour respirer qu'une fois toutes les cinq heures. Les femelles ne sont fécondes qu'à partir de 37 ans. Les mâles ne rejoignant jamais la terre, la rencontre se produit au large. La femelle doit alors gagner la terre ferme pour pondre au maximum 120 oeufs. Elle ne s'accorde que trois tentatives en trois jours. Passé ce délai et en cas d'échec, elle lâche les oeufs en mer où ils sont perdus. Si elle atteint la plage, il faut qu'elle aille le plus loin possible : là où le sable est le plus chaud. En effet, sous les 28°, le petit sera toujours un mâle tandis qu'au-delà de 29°, ce sera systématiquement une femelle. Entre les deux, tout est possible.

La mère va passer deux heures hors de l'eau. Durant ce temps, elle creuse un premier trou en entonnoir de 1,5 mètre de large et 1,2 mètre de profondeur pour y déposer ses oeufs. Après cela, elle comble le premier trou et en creuse un second qui servira de leurre pour les prédateurs : crabes, chacals et goélands. Quand les oeufs éclosent, les premiers pondus sont tout en bas et doivent attendre que ceux du dessus aient libéré la voie. Ils sont alors guidés vers l'océan par plusieurs indices selon les saisons : le plancton fluorescent laissé sur le sol, la lumière et le bruit des vagues. Sur mille oeufs, seuls deux ou trois aboutiront à une tortue verte adulte... Celle-ci vivra jusqu'à 90 ans et pèsera jusqu'à 150 kilos. La femelle, qui n'a pas d'instinct de maternité, reviendra pondre au même endroit au plus tôt au bout de trois années.

Pour en revenir à NOTRE tortue, nous la surprenons en train de creuser péniblement le leurre. De ses nageoires avants et arrières, elle donne trois à quatre coups asynchrones propulsant des pelletés de sable en l'air, puis elle s'arrête, exténuée, de longues secondes; peut-être une minute. Sa stratégie, sa lutte pour protéger ses petits est touchante et admirable. Dans le même temps, je me demande pourquoi les prédateurs ne comprennent pas la manoeuvre depuis le temps.

Notre tour est passé. Nous nous écartons du trou pour nous rapprocher de la mer. Un ranger lâche trois bébés tortues vertes. L'une d'elles entame une course vers la mer en suivant la lumière de la frontale de Richard. Elle sera probablement débrouillarde. Les deux autres semblent davantage désorientées, pudiques ou timides : elles ne bougent pas ou à peine. Un ranger les prend pour les faire avancer. L'océan est là. Une vague éclate et vient les lécher. Premier contact avec le liquide salé. Une autre les emporte vers le large quand la suivante les ramène : elles sont ballotées tels des fétus de paille par le vent. La partie est bien engagée pour elles mais le temps presse car quelques crabes menaçants sont aux aguets. Je ne connais pas l'issue de cette histoire car la frontale de Richard s'est alors éteinte mais j'ose espérer que "nos" petites ont atteint le large.

Nous retournons voir la mère qui a progressé mais reste en plein effort. Le travail est encore important. Je repars attendri par le spectacle de la vie, la tête ailleurs tant ce moment a été riche en émotions. Et dire que ce phénomène se reproduit tous les soirs (y compris en ce moment-même) depuis la nuit des temps ! C'était vraiment une soirée magique et magnifique.

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