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Au coeur d'une palmeraie

Lundi 11 mars 2013

Réveillé vers 5h, j'attends confortablement installé dans mon duvet que le décor se monte. Par chance, il n'y a pas de rosée ce matin et la température est supportable. De rares voitures empruntent la piste éclairée par leurs seuls phares, le ciel étant couvert ce matin et la nuit nous enveloppant. Un âne nous a rendu visite et tournicote encore autour du camp à l'aube. Fort bien éduqué, il ne braira pas une seule fois. A 6h, je décide de me lever pour profiter en premier de la salle de bain géante. A cette heure-là, il n'y a étrangement personne pour me disputer la place.

Un piton se dresse devant le campement. Je passe à côté de l'âne et débute la montée sur une pente où les pierres roulent facilement. Je n'aurais pas l'occasion d'arriver au sommet, d'abord parce qu'il est occupé par une cohorte de chèvres pas très déterminées à me céder la place, ensuite parce que le temps de trouver les passages praticables, les premiers signes de réveil sont perceptibles en contrebas. Je constate au passage que la vue sur la vallée semble tout aussi bouchée qu'hier soir. Taher, premier en mouvement, vient à ma rencontre tandis que Robin se prépare avant de sortir le petit déjeuner.

Avec mon compère de chambre, n'ayant pas de tente à démonter, nous aidons à replier le campement et à charger les véhicules pour être prêts au plus vite. Nous devons en effet atteindre Nizwa avant que l'activité ne cesse aux heures les plus chaudes (de 11h à 16h). Vers 9h, le convoi est sur le départ. Peu après avoir retrouvé la route, nous passons devant des résidences protégées par de hauts murs et toutes identiques. Il s'agit du lieu de villégiature pour saoudiens et autres rois du pétrole l'été lorsque la température est à peu près tolérable ici et nulle part ailleurs. Ces riches citoyens étrangers viennent alors s'enfermer dans des maisons sans caractère et sans activité ou divertissement possible dans les environs.

Tandis que Robin part retrouver un appareil photo manquant à l'appel (comme la veille), notre tout-terrain prend en charge l'approvisionnement en eau. En plein milieu de la montagne, nous venons nous servir en or bleu dans un point officiel de ravitaillement. A nouveau rassemblés, nous nous engageons dans la descente, le seul accès à cette forteresse naturelle qu'est le Djebel Akhdar. Une brigade mobile de police nous arrête car nous sommes en pleine semaine annuelle de contrôle. Tout le monde s'y attend et les localisations précises sont même données dans le journal : pas de quoi surprendre l'automobiliste ...

Dans la pente principale, notre jeune conducteur ne parvient pas à suivre le guide. Autour de nous un environnement minéral avec des strates sédimentaires issues du fond des océans. La roche est noire et la végétation très rase et clairsemée. Régulièrement, des "escape lanes" sont aménagées pour stopper les véhicules dont les freins lâcheraient. 

Retour dans la vallée par le fort du XVIIème et le falaj inscrit à l'UNESCO. Longues lignes droites filant à l'infini vers notre destination. Au bout d'environ une heure et 30 kilomètres, de hauts bâtiments se profilent : nous atteignons les faubourgs de Nizwa. Nous remarquons d'abord son centre sportif regroupant un stade, une piscine et bien d'autres installations; puis la ville surgit. Nous nous rangeons sur un parking devant lequel une enceinte en briques de terre séchée et en bois de palme se dresse. Elle délimite la vieille ville. A l'extérieur des fortifications s'élève une mosquée à l'imposant dôme.

Je ne m'attendais pas à une si belle cité qui, à première vue, semble étendue. Pendant près de deux heures, nous disposons de temps libre et partons chacun de notre côté. Je traverse d'abord le marché aux épices, un cliché associé à l'Orient dans mon imaginaire. Etals de couleurs et parfois de senteurs qui flattent les sens. A cette heure il ne manque que la foule marchandant chaque denrée et grouillant dans les allées étroites. Là, l'agitation est nettement moindre et le bazar est ordonné. Presque un contresens.

Je sors dans une rue à la recherche de cartes et de timbres pour mes proches. Ce faisant, je tombe sur Robin et Taher qui m'expliquent que nous visiterons le fort plus tard donc qu'il ne sert à rien de le découvrir en solo. Je rebrousse alors chemin pour retourner vers les souks tant qu'ils referment encore un semblant d'animation : souks d'artisanat, des fruits et légumes, des viandes et des poissons, des dattes, marché extérieur des animaux. Ce dernier est le seul que je trouve désert bien que l'odeur y soit tenace. Dans celui d'artisanat, le commerçant m'offre un café à la cardamome dans une petite tasse. Je ne suis pas très café, encore moins aromatisé avec une telle plante, mais ici c'est un geste d'accueil et de respect alors je me plie à la tradition. La curiosité aussi m'y pousse car je n'ai jamais reculé devant une boisson non-alcoolisée offerte par le local (airak, koumis, thé salé au lait de yak ...). Un peu plus loin, un vieil homme aux yeux voilés par des cataractes prononcées m'offre à son tour une datte dans le souk consacré à ce fruit. Je prends là-encore le temps de l'échange.

Je poursuis la visite du centre par ses vestiges : tours et murailles dégradées par les éléments et les époques, habitations abandonnées, délabrées ou en ruine. Partout les murs s'effritent, les fenêtres sont closes par des planches. Toutefois, l'endroit vit encore car les quartiers modernes se sont bâtis autour et que la circulation passe devant ces témoignages d'un temps révolu où Nizwa était une capitale ou une ville de poètes et de religieux.

Aujourd'hui, le tourisme et le commerce animent cette place de 40 000 habitants. Une fois notre groupe reconstitué, nous partons à la découverte de son symbole : un fort du XVIIème siècle édifié en à peine plus d'une dizaine d'années. Une construction pour laquelle ses bâtisseurs ont développé 7 systèmes défensifs différents pour résister aux sièges et aux assauts notamment : une porte renforcée, une entrée en zigzag pour rendre inefficaces les béliers, des ouvertures pour déverser de l'huile de dattes bouillante ... Franchie l'entrée, une grande cour arborée distribue sur un puits et différentes portes. Par des ruelles multiples, on accède à différentes pièces constituant un musée : habits traditionnels, bijoux, éléments historiques, architecture, geôle, entrepôts ... A chacun de s'aventurer comme il le souhaite : il n'y a pas vraiment d'itinéraire prédéfini.

Avec Taher, nous grimpons à la tour ronde d'un diamètre de 35m, soit un peu plus que mon tour de taille pour que vous puissiez bien vous en rendre compte. Elle offre trois vues distinctes par trois morceaux de chemins de ronde différents : la vieille ville et ses toits à coupoles crénelées, la mosquée et un agglomérat urbain, la palmeraie et les montagnes en arrière-plan. En dehors du voisinage du lieu saint, l'habitat apparaît comme peu dense et sans trop d'étages. Point de maillage serré des rues propice à une sensation d'étouffement : la nature conserve une partie de ses droits.

Après quelques minutes supplémentaires de déambulation sur les toits et les remparts, nous sortons de l'édifice défensif pour rejoindre le restaurant du jour. De tradition omanaise, nous nous retrouvons nu-pieds dans une cellule avec pour seule table un tapis au sol que je ne parviendrai pas à faire décoller. J'ai dû perdre la formule. Au menu, il y en a pour tous les goûts : poissons et viandes blanches, des plats de riz  de 3 variétés différentes dont un seul suffirait à rassasier tout le groupe et des légumes également en quantité. Nous enchainons avec un laitage qui va devenir incontournable pour certains d'entre nous tant il est bon et rafraichissant : le yaourt. Avec le jus de fruit, c'est ce que je garderai en mémoire de mes repas, non pas que le reste soit immangeable (bien au contraire) mais parce que ce sont les aliments que je prends le plus souvent.

Nous reprenons la route en direction de Misfat Al-Abriyeen, village en trois parties séparées par les accidents de terrain. La première par laquelle nous arrivons est la plus moderne. Les deux autres sont en revanche carrément mignonnes et authentiques. L'asphalte se termine, il faut prendre avec nous un petit sac pour la nuit et poursuivre à pied. A main droite s'offre d'abord une vue dégagée sur une partie du village qui s'étale en suivant la pente. Nous passons devant un banc où, comme dans tous les villages, des anciens sont assis refaisant le monde ou parlant de leur jeunesse et des actualités du coin. Leurs yeux sont également voilés par la cataracte. Puis, nous nous engouffrons dans un dédale de ruelles étroites et tortueuses, passant parfois sous les maisons. Quelques balises indiquent les principales voies de circulation. Les escaliers sont nombreux, les falajs omniprésents et les cultures luxuriantes. Un véritable oasis de charme ! Les villages du Népal, Ngawal en tête, avaient la même allure, les canaux d'irrigation en moins.

Nous séjournerons ce soir dans la maison d'hôte de Mohammad, dans la partie inférieure du bourg. La chambre est modeste mais confortable : deux matelas étendus sur le sol, une lampe au plafond et un "toaster" à moustiques.

A peine installés, Robin nous propose une balade dans la palmeraie en s'enfonçant dans un canyon. Nous retraversons les ruelles, tournant sans cesse, puis empruntons tantôt un falaj, tantôt un chemin. Concernant le premier, il nous faut marcher sur ses murets seulement entourés de terrasses cultivées, de bananiers, de palmiers, de manguiers, de papayers ... A mesure que nous nous éloignons du hameau, la densité du couvert se réduit. Contraste entre le vert des plantations et des cultures et l'orangé de la falaise au soleil déclinant. Sur ses flancs apparaissent de temps à autres des anfractuosités que certains d'entre nous attribuent avec humour aux hommes de Cro-"Mignon". Egalement à intervalles réguliers, des tours de guet gardent cette faille géologique. Bientôt, l'eau du falaj va s'engouffrer dans les rochers (nous en remontons le cours), aussi nous faut-il rebrousser chemin à défaut de pouvoir briser la roche comme cela a été effectué plus bas.

Revenus à notre hébergement, j'estime avec mon collègue de chambre ne pas encore en avoir eu à satiété surtout qu'avant de partir, j'ai déjà vu des photos de l'endroit sous un angle très avantageux et enchanteur. Nous partons donc à la recherche de ce point de vue en descendant vers le fond de la gorge. Notre parcours longe un falaj et traverse des zones de cultures puis descend la pente par un escalier en partie creusé dans la roche. Parvenus au point bas, nous grimpons sur le versant opposé. De minuscules parcelles à flanc de paroi apparaissent comme des récompenses pour les efforts supplémentaires accomplis. Mais le clou de notre "excursion" va être davantage atteint avec un promontoire dégagé. De gauche à droite : une gorge nous séparant de la palmeraie où nous logeons, deux parties de Misfat s'accrochent chacune au flanc de leur montagne, le canyon que nous avons arpenté en groupe et les roches orangées du couchant. Sur notre droite, ce canyon file pour échapper à notre regard. Minutes de silence pour profiter de cette vision superbe avant de rebrousser chemin n'étant pas équipés pour évoluer de nuit.

Retour à l'hôtel où nous retrouvons avec plaisir une douche après notre nuit précédente dans les montagnes sans point d'eau environnant. C'est lorsque l'on est le plus isolé que l'on se rend compte à quel point les automatismes du quotidien peuvent rapidement nous manquer. Je peux me satisfaire d'une rivière mais l'absence d'une vraie toilette est un luxe qui me fait toujours défaut.

Le repas du jour est pris en terrasse à côté d'une famille de français qui voyage en solo. A mes côtés, Taher passe le repas totalement absorbé et dépendant de son téléphone portable. A sa décharge, il ne peut nous comprendre. Quant aux moustiques, ils viendront chercher un peu de chaleur humaine, comme celui de la chambre qui préférera ma compagnie au "toaster". Au menu, un buffet avec notamment des plats libanais. Nous goûtons également un baklava, gâteau oriental acheté à Mascate par Robin.

Notre soirée se termine comme toutes les suivantes par des devinettes. J'excelle à ce jeu dont le prix imaginaire est une place dans la voiture de Robin. Sylvie, elle-aussi, gagne rapidement son ticket. Quand on sait que Robin nous explique la vie du pays ou nous détaille les curiosités du parcours tandis que Taher est suspendu à son portable la plupart du temps, on comprend mieux l'enjeu ...

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