A l'assaut d'une forteresse naturelle
Dimanche 10 mars 2013
5h du matin. Je suis content de constater que le muezzin a une belle voix mais s'il pouvait appeler un peu moins fort à la prière, ça ne me dérangerait pas beaucoup. Dans les quartiers avoisinants, d'autres hommes pieux donnent également de la voix. Pendant un quart d'heure nous avons largement le temps de nous imprégner de ces paroles qui évoquent l'Orient et doivent louer Allah. Religion exigeante qui requiert du fidèle cinq moments de recueillement dans la journée aussi bien à la mosquée que depuis chez lui. L'important c'est d'avoir la foi et de se recueillir selon les préceptes.
Deux heures plus tard, nous nous levons pour aller découvrir les environs à notre guise. Robin nous a indiqué hier soir les coins à voir. Chacun est libre d'occuper son temps comme il le souhaite d'ici notre départ de 9h. Un petit déjeuner continental à base d'oeufs et de toasts est proposé. A travers la baie vitrée, nous voyons le port où mouille le yacht du Sultan. Quelques minutes plus tard, nous sommes dehors avec notre troisième homonyme. Nous déambulons d'abord en direction du marché aux poissons. Théoriquement, c'est le matin que l'activité bat son plein, au retour des bateaux. Pour y accéder, nous traversons un petit bâtiment, marché miniature, où les locaux nous guident. Nous débouchons alors sur une halle couverte dans les allées de laquelle se pressent encore quelques poignées de commerçants et de badauds. La foule est clairsemée, la marchandise tout autant. Le négoce a soit eu lieu plus tôt, soit est d'ampleur modeste. Mais sur les carrelages trainent encore diverses variétés de poissons souvent inconnus, des thons, des crevettes et des crabes.
Nous rebroussons chemin pour emprunter la Corniche : une balade de plusieurs kilomètres qui relie Mutrah à la vieille ville de Mascate par le front d'océan. Le sol est pavé. Ici et là, quelques kiosques surmontés d'un dôme aux feuilles d'or ou des sculptures d'animaux marins rompent la perspective. La Promenade des Anglais n'a qu'à bien se tenir surtout que, de l'autre côté de la route, les bâtiments affichent un style sobre mais classe et qu'une mosquée dresse au ciel son minaret et son dôme de majolique bleue. Mascate a du charme !
A main gauche, le port privé du Sultan au premier plan. Y est amarré son yacht personnel ainsi que celui qui l'escorte en permanence. Comme le précédent navire devait avoir quelques années, le Sultan en a commandé un nouveau pour la bagatelle de 35 millions, s'entend sans les finitions évidemment. L'ancien a été offert au Roi de Jordanie. Toujours dans la même anse : quelques bateaux de police ou de pêche sont au mouillage mais surtout deux magnifiques boutres en bois, le navire traditionnel qui fit la richesse du pays du temps de l'encens et des routes de commerce maritime.
Il n'est pas encore 8h et le thermomètre affiche déjà 26 degrés au premier passage devant le souk. Nous continuons à longer la Corniche croisant des ouvriers et employés indiens ou pakistanais se rendant au travail. Nous sommes dimanche et ici ce n'est bien sûr pas le week-end : c'était jeudi et vendredi. Des plots en béton font office de digue ou de brise-lames. Au sommet de chacun, une mouette est juchée, certaines s'adonnant à une séance de fitness sur une seule patte. La scène est cocasse. Au-dessus de ce spectacle des plus banals, le fort de Mutrah coiffe un promontoire désertique et rocailleux. Ces structures militaires sont omniprésentes dès lors que nous balayons du regard les montagnes limitant l'extension de la capitale.
Demi-tour car, malgré tout, notre temps est limité. Le mercure est encore monté en 20 minutes et frise à présent les 30 degrés. "Soleil dardant, dans le souk immédiatement" pourrait dire un adage. Il n'existe pas encore mais, au cas où, nous faisons un crochet par ce lieu de négoce. Sa porte franchie, une ruelle pavée s'ouvre distribuant sur de multiples venelles ou sur des rotondes qui démultiplient les voies de circulation. Le toit est de bois, les coupoles en vitraux. Je ne m'étends pas plus car j'y reviendrai le dernier jour lorsque l'animation sera plus importante.
Nous regagnons l'hôtel peu avant le signal du départ. Avec de quitter la capitale, nous nous dirigeons vers le principal lieu de culte de la capitale : la jeune mosquée Sultan Qaboos édifiée il y a à peine plus d'une décennie. Chemin faisant, nous empruntons une autoroute 3X3 voies constellée de radars. Une immense coupole et des minarets surgissent au milieu d'une plaine, visibles de particulièrement loin. Ses dimensions sont colossales (plus de 35 terrains de football) et la mosquée peut accueillir jusqu'à 20 000 fidèles pour la prière.
Du parking, nous nous présentons devant l'entrée principale : quelques voutes donnant sur un petit patio et une porte. Au centre du patio, une petite fontaine à sec. Sur les murs latéraux sont accrochés de beaux luminaires de fer forgé. A partir de cet endroit, les femmes doivent se couvrir la tête pour pouvoir entrer.
Devant nous s'étend un magnifique jardin verdoyant et arboré. Il contribue à créer une atmosphère paisible et propice au recueillement quand tout autour n'est qu'aridité. De ce havre de paix surgissent des minarets de 45 mètres de haut et les coupoles des salles de prières. L'ensemble paraît aéré et riche bien que tout en retenue : l'ostentation n'est pas réellement recherchée, davantage la splendeur. C'est au final une vraie réussite.
Chacun de nous est libre de visiter à sa guise le site. Robin nous a en effet fourni les explications avant d'entrer puis est retourné chercher un appareil photo à l'hôtel. Je me joins donc à Taher pour découvrir ensemble ce site. L'esplanade traversée, nous parvenons devant la mosquée des femmes. Avant d'y entrer, il convient de se déchausser par respect. Le bâtiment est de taille modeste au regard de la démesure du complexe religieux. A l'intérieur, le sol est couvert de tapis, les murs de carrelages, d'inscriptions et de colonnes intégrant un système d'aération, le plafond de caissons en bois de tek et de noyer pour une meilleure acoustique. Aucun mihrab pour indiquer la direction de la Mecque. Les portes sont en bois ciselé surmontées de vitraux multicolores. 6 lustres de cristal éclairent la pièce où deux femmes prient.
Regagnant l'extérieur et contournant l'édifice, nous entrons dans une cour entourée d'arcades et décorée avec les luminaires précédemment évoqués. Au sol, marbre et calcaire d'Inde réfléchissent une clarté aveuglante. Nous poursuivons avec un nouvel espace cerné par deux arches géantes et donnant accès à la mosquée des hommes.
Celle-ci dégage un faste encore plus incomparable à travers deux éléments principalement : un immense tapis d'Iran d'une seule pièce qui couvre l'intégralité du sol et une vaste coupole mise en valeur par un lustre de cristal de 6 tonnes. Face à l'entrée, un mihrab en carrelage indique la direction de La Mecque. Sur le côté, des allées latérales à arcades comprennent des niches encastrées dans les murs avec des exemplaires du Coran en un seul tome ou en 30 chapitres.
Nous ressortons de ce bâtiment pour visiter les riwaqs bordant le site : il s'agit d'une succession d'arcades ornées de dômes à intervalles réguliers et reflétant différents styles architecturaux de pays musulmans. S'y trouvent par exemple les salles pour les ablutions ou une petite bibliothèque bien cachée pour qui ne lit pas l'arabe ou n'est pas accompagné comme dans mon cas. Des fidèles y étudient les écritures, des livres de sciences ou de langues voire surfent sur Internet.
Nos pas nous conduisent ensuite à une sorte de centre d'information où la conseillère nous offre quelques dattes et des ouvrages particulièrement prosélytes. Nous regagnons enfin l'entrée pour laisser la voie libre aux fidèles venus pour la prochaine prière.
Au bout d'un certain laps de temps, Robin apparaît avec l'appareil photo. Nous prenons la route et marquons une halte chez un épicier libanais. Notre guide nous y offre un yaourt et un nouveau jus de fruit excellent pendant qu'il rassemble le ravitaillement. Nos véhicules repartent laissant derrière l'océan pour gagner doucement la montagne. En deux heures environ, nous arrivons à Birkat El Mawz, un village aux maisons abandonnées au milieu d'une palmeraie.
Non loin de là se trouve un site du Patrimoine Mondial : le falaj Al-Khatmeen. Avec quatre autres, il a été inscrit sur la liste de l'UNESCO et représente l'ensemble de ces canaux d'irrigation qui couvrent Oman. Leur construction serait d'origine perse et remonterait au 5ème siècle de notre ère. Elle viserait à transporter l'eau potable depuis la source et à la distribuer par un principe de gravité à des fins agricoles et de peuplement. La longueur de celui devant lequel nous nous trouvons est de 2450m. Il est partiellement couvert et passe à proximité d'un fort du XVIIème.
Derrière le fort démarre la seule voie d'accès menant au coeur du Djebel Akhdar. De ce fait, le plateau resta longuement isolé au cours de son histoire et un foyer insoumis au pouvoir. Tout autre véhicule que les tout-terrains ne peut s'engager à l'assaut de la pente assez prononcée par endroit. En une trentaine de minutes nous atteignons les 2000m alors que nous étions au niveau de la mer ce matin. Cette montagne tient son nom de "montagne verte" du grand nombre de cultures qui verdissent ses pentes à certaines périodes de l'année. Aujourd'hui, elle est en revanche d'aspect rocailleux, ponctuée d'acacias et de petits arbustes grêles.
Nous nous dirigeons vers le Plateau de Saiq, lieu de production de fruits (grenades, agrumes, ...), d'oignons et de roses. Atteignant un balcon en terrasse, nos véhicules se rangent pour nous offrir l'occasion d'une petite randonnée. Devant nous, des vallées étroites et profondes bordées de falaises abruptes donnent à l'endroit un faux air de canyon. Cà et là, de petits villages accrochés à la paroi et surplombant les environs. Des terrasses s'étagent depuis ces lieux de peuplement vers le fond de la vallée.
Nous allons traverser successivement trois villages. Le premier est accessible par une allée assez large. Rapidement, on emprunte un escalier qui descend sur la gauche, l'allée se fait sentier conduisant à des terrasses cultivées. En s'approchant du parapet, des falajs sinuent à quelques mètres en contrebas. Une dizaine de minutes suffisent pour atteindre le second bourg. Celui-ci paraît plus vivant avec des parcelles en culture. Il possède une mosquée et lorsqu'on le traverse par ses ruelles étroites et ses passages, on est saisi par l'atmosphère de l'endroit, son cachet, la beauté de ses portes et de ses habitations. Il y a 50 ou 100 ans peu de détails devaient différer : l'endroit traverse les époques et nous avec.
En ce lieu, l'Etat restaure les maisons abandonnées. Au débouché d'un passage, nous tombons nez-à-nez avec un groupe de "Bordeau Chesnel" selon l'expression consacrée par l'équipe médicale de notre groupe. Ces dames et messieurs dorment tout le séjour confortablement installés dans des hôtels tandis que nous avons opté pour la version "roots" avec la tente et les bivouacs en majeure. Personnellement, je ne les envie pas car le camping offre une liberté et un rayon d'action que ne permet pas l'hébergement en dur.
Dernière partie vers le troisième village, nous délaissons la piste pour suivre le falaj en marchant sur ses murets. Analogie avec les levadas de Madère que je découvrirai prochainement avec Laëtitia. Numéro d'équilibriste où il vaut mieux être sûr de ses appuis ou tout du moins concentré. Nous atteignons un petit parking où nous retrouvons Taher. Pendant qu'il emmène Robin récupérer le second véhicule, nous avons pour consigne de progresser. La sortie du village est extrêmement raide : ne passe pas qui veut avec une inclinaison nettement au-dessus des 20%. Passera ? Passera pas ? Finalement, notre tout-terrain nous dépasse sans nous écraser à la sortie d'un virage serré. Chacun sa route en attendant les retrouvailles.
Atteignant un promontoire surplombant la localité, nous pouvons apprécier un instant le parcours effectué. Deux omanais en dishdasha, la tunique traditionnelle, acceptent de prendre la pause dans ce cadre, kummas posés sur la tête. Je les remercie et tente de pousser jusqu'à un promontoire pour apercevoir l'autre côté de la vallée. Déjà les véhicules sont là mais doivent encore faire demi-tour. Je presse le pas pour tenter d'atteindre mon objectif. J'y parviendrai de justesse sans que la vue n'ait rien de spécial. Au moins me serai-je un peu dépensé !
Nous rejoignons le bivouac du jour à quelques kilomètres : d'abord, sur des crêtes ondulantes, puis, sur une piste qui s'écarte du bitume. Petit serpentin pour descendre rapidement d'une vingtaine de mètres, une ultime accélération et nous arrivons sur l'aire que nous visons : un espace plat mais caillouteux à 2200m. Robin nous invite le temps qu'il décharge les voitures à avancer un peu pour aller voir une "surprise". A une centaine de mètres de là, un trou béant s'ouvre sur le plateau. Un arbre pétrifié à mi-paroi, un autre bien vivant au fond. Le soleil descend, avalé par les nuages. Un couchant aux allures de cache-cache dans un décor partiellement embrumé et vallonné. Des airs de ce qui pourrait être le pendant d'une Baie d'Halong terrestre.
En regagnant les véhicules, nous nous prêtons à la "corvée" de bois mort. Mais qui a dit que c'en est une ? Je retrouve les sensations de mes précédents séjours sous tente. J'adore ! Nous attaquons ensuite le montage des tentes. Avec mon binôme de chambre, nous nous laissons séduire par la perspective d'une nuit à la belle étoile. Pour ma part, ce sera une première que j'appelle de tous mes voeux. Pour ne pas rester inactifs et après un second tour de ramassage du bois bien plus efficace, nous attaquons entre hommes la cuisine ou plutôt l'épluchage des légumes : ails, oignons, poivrons, gingembre. Une tâche qui va devenir pour certains d'entre nous quotidienne. Loin d'être une contrainte à mes yeux, c'est un choix que de contribuer avec mes modestes moyens au fonctionnement du campement. D'autant plus lorsque je constate que Robin doit tout gérer de A à Z sans aucun répit. Débordant d'énergie et d'enthousiasme, je ne demande qu'à aider dans ce type de voyage sous tente. Entre le début de la cuisson et l'apéro, je m'accorde une pause pour ma toilette puis pour apprécier les dernières lueurs du jour tant qu'à être ici, au milieu de nulle part. Un spectacle dont je ne peux me lasser d'autant plus qu'en France de telles opportunités se font rarissimes dans mon cas.
Un peu plus tard, nous nous décidons à allumer le feu. Encore un incontournable de mes meilleurs séjours sous tente, des steppes d'Asie Centrale à la cordillère des Andes. Cette attirance pour le feu, nous la partageons tous depuis la nuit des temps. Les flammes s'élèvent dans la nuit noire alimentées par une profusion de bois sec. De légères braises incandescentes voltigent dans les airs avant de s'éteindre à tout jamais. Les regards plongent dans le brasier, captivés, le silence s'établit, chacun navigue dans ses pensées.
Le repas est simple et délicieux. Les femmes se proposent de faire la vaisselle puis après quelques discussions, nous nous dispersons. Encore un peu d'aide pour ranger le matériel et éviter des visites non désirées. Le ciel s'est dégagé, la voûte étoilée est magnifique. Avec Robin, nous installons une couche confortable de plusieurs mètres à l'abri du vent, derrière le tout-terrain. Les lumières s'éteignent, les criquets chantent encore un peu, le feu crépite. Ce soir, un prince s'endort dans un désert minéral d'altitude.