Entrée dans le désert des Wahibas
Mardi 12 mars 2013
Ce matin, je me réveille à 6h45. J'aurais bien voulu ouvrir les yeux plus tôt mais la soirée a été fastidieuse entre chaleur et un moustique qui m'asticotait. En étant positif, je pourrais être satisfait d'être plus efficace que le "toaster". Cependant, les tourments de cette satanée bestiole me font voir les choses différemment. Le réveil n'ayant pas encore sonné, je m'accorde une petite escapade dans la palmeraie et m'enfonce parmi les dattiers. Des villageois sont déjà à l'oeuvre dans les champs. L'eau s'écoule paisiblement dans les falajs, les insectes bourdonnent et butinent. Je retourne chez notre hôte, réveiller mes compagnons avant de prendre le petit-déjeuner-buffet.
A 8h30, nous quittons cette paisible oasis de Misfat en parcourant une dernière fois le centre et ses passages. Un long transfert nous attend. A notre droite dans la descente, le Djebel Shams qui abrite le plus grand canyon d'Oman. Celui-ci se distingue non par sa longueur mais plutôt par sa profondeur de 2 kilomètres maximum. Nous profitons de ce temps mort pour aborder de nombreux sujets de façon informelle. D'abord le mariage : s'il lui arrive d'être encore arrangé, il ne se fait toujours pas par amour. Ce sont les familles qui "apparient" leurs enfants, entre omanais. Pour acquérir cette nationalité, les critères sont très rigoureux : il faut notamment 20 ans de présence sur le territoire, porter la dishdasha et le chapeau traditionnels, puis parler arabe. Vous n'avez aucune chance ? Moi non plus !
La vie s'est grandement modernisée depuis quelques décennies. Les femmes, malgré les désagréments signalés en introduction, ont accès à l'éducation au même titre que les hommes d'où un taux d'alphabétisation qui progresse. L'école est gratuite jusqu'au secondaire pour les nationaux. Filles et garçons sont séparés et leurs heures de cours diffèrent (matin pour les premières, après-midi pour les seconds). A l'université, les deux sexes sont mélangés. Cependant, après 16h, il est mal vu pour une femme, notamment non mariée, de sortir avec un homme.
La route est plate et rectiligne. Les bas-côtés sont arides, la végétation rase et clairsemée. Nous nous ravitaillons dans un supermarché tenu par des pakistanais que nous contribuons grandement à vider avec nos provisions pour 4 repas. En reprenant notre progression, Robin bifurque soudain sur la gauche pour emprunter une route méconnue, ouverte depuis moins de deux ans. Celle-ci est déserte ou presque. Sur ses bords, des dromadaires sont allongés de temps à autre : certains sont spécialisés dans les courses.
Plus loin, nous atteignons notre restaurant indien où je déjeune d'un boeuf quand les autres personnes sont plutôt à la crevette. Yaourt et jus de fruit sont toujours présents à notre table.
Sans prendre le temps de digérer, nous rejoignons par une voie en côte le Wadi Bani Khaled, un canyon dans lequel les touristes et les locaux se pressent pour se baigner. Depuis le parking, une allée pavée longe un falaj en bordure d'une palmeraie. Une centaine de mètres plus loin, nous arrivons au coeur du site, aux bassins principaux où s'installent la plupart des gens.
En montant sur quelques rochers vers une faille dans la montagne s'offre un cadre bien plus authentique. Une large vasque s'engouffre dans un étroit défilé que l'on ne peut parcourir qu'en nageant, sans avoir pied. Pour ceux qui ne souhaitent pas se baigner, il est possible de couvrir le même itinéraire du haut de blocs calcaires.
A l'autre bout du goulet qui se termine par un toboggan, nous sautons par-dessus le cours d'eau à 5. Nous pouvons ainsi poursuivre plus en avant notre remontée des gorges. Deux parois d'une vingtaine de mètres nous encadrent. Dans le lit où nous évoluons, de gros blocs de pierre barrent parfois le passage et nécessitent de se frayer un chemin entre les rochers. La vue me fait penser à l'Ennedi et ses gueltas aperçus dans Rendez-vous en Terre Inconnue puis Ushuaïa. L'eau disparaît dans cet amas de roches. Nous marchons jusqu'à une grotte à même la paroi mais n'y pénétrons pas faute de l'équipement nécessaire. Demi-tour pour retrouver nos compagnons qui se baignent dans le défilé.
Avec ces images en tête, nous quittons ce site pour le désert des Wahibas. Quelques gouttes de pluie viennent nettoyer les véhicules avant qu'une mini-tempête de sable ne prenne le relais.
Dernière ville avant notre entrée dans le désert. Nous nous arrêtons chez un indien du Kerala pour dégonfler les pneus. Ce faisant, nos roues aplaties occuperont plus de surface et nous permettront de moins nous enfoncer dans le sable. C'est le même principe pour les pieds du dromadaire ou, sous d'autres latitudes, pour la marche en raquettes. Le saluant d'un "namaste" de rigueur, le garagiste nous adresse quelques paroles attentionnées.
Deux véhicules filent à haute vitesse vers le lieu de bivouac. Nous ne roulons pas sur la piste mais à côté parce que c'est plus simple et que ça permet à nos chauffeurs de s'amuser davantage. Le vent souffle toujours. Nous passons devant un campement pour touristes. Robin nous explique que ces sites proposant de l'ombre attirent scorpions et araignées notamment à l'arrière des bungalows. Aussi est-il dangereux de s'y aventurer. Mais que faire derrière un bungalow ?
Régulièrement des dromadaires surgissent sur notre route. Les rois du pétrole ont cédé la place à ceux du désert...
Au niveau d'une espèce de col, matérialisé par deux arbres, nous basculons dans une nouvelle vallée allongée contenue entre deux dunes. C'est au milieu de celles-ci que nous allons monter le campement. Pour commencer, notre guide nous envoie escalader la plus proche pour voir le soleil couchant. La première partie est facile quand la seconde devient sportive : à chaque pas, on redescend de quelques centimètres. Nous nous échelonnons et marquons des pauses, plus ou moins essoufflés. Au sommet, la ligne de crêtes est nette. Elle court et serpente vers le lointain telle une muraille de Chine naturelle et mobile. Des grains de sable y décollent, emportés dans les airs par un souffle puissant. Vision magique d'un paysage en remodelage permanent. Devant nous, un second cordon dunaire et, au-delà, de nouveaux à l'infini.
Sans attendre le coucher du soleil encore loin, je ramasse ma part de bois et la ramène au bivouac. Contrairement au Gobi, ici, la dune ne "chante" pas. Nous dressons nos tentes car, avec ce qui rôde dans les parages, nous ne sommes pas très chauds pour une nuit à la belle étoile. Puis, les mêmes volontaires aident à l'épluchage des légumes. Une araignée d'un beau gabarit passe sur le tapis cuisine sans se déchausser. Les valeurs se perdent, je vous le dis !
A la tombée de la nuit, deux lampes s'allument au-dessus de nos têtes. C'est entrée gratuite à la discothèque pour tous les insectes des environs. Les plus assidus sont les scarabées ou bousiers, ceux-là même qui poussent à reculons des boulettes pour alimenter leurs larves. Ils sont enivrés de lumière et avides de chaleur. Par courts vols et longues marches, ils se dirigent vers la flamme du réchaud devant laquelle soit ils se dorent la pilule, soit ils s'immolent par le feu.
Après le repas, nous poursuivons nos énigmes quotidiennes. Puis, chacun finit par rejoindre sa tente et s'abandonner au sommeil.
Alors que je suis dans mes pensées, un bruit de moteur me parvient et des phares éclairent la tente. Des paroles retentissent en arabe avec un débit rapide. Après un moment d'échanges, Taher m'enjoint de venir vite vu que je ne dors pas. Les deux "événements" n'ont cependant rien à voir : le véhicule appartient à des fonctionnaires du Ministère de l'Information qui cherchent désespérément un camp aménagé, celui que nous avons laissé bien des lieues en amont, quant à notre équipe locale, elle souhaite me montrer un scorpion blanc d'une petite dizaine de centimètres trouvé à proximité immédiate de l'endroit où a diné l'un de nous.
Je retourne à la tente et replonge. Non je n'aurais vraiment pas dormi dehors ce soir !